RIVILLON Sylvie

Vit et travaille dans l'Aude

« L’homme de coeur s’enchante de la montagne; l’homme d’esprit jouit de l’eau. »Confucius
Dans les dernières compositions en terre cuite comme dans les premières sculptures en marbre et en granit, apparaît un thème qui peut faire penser aux « rêves de pierre » de C.Baudelaire ou aux « pierres de rêve » de R.Caillois.
L’artiste le définit souvent par « construction autour d’une vague ».
Revient alors en mémoire la cosmologie chinoise et ses vagues de pierre représentant le chaos originel duquel émergent les notions de ciel-terre et de montagne-eau.Aux yeux des anciens lettrés chinois, la montagne est formée à l’origine par des vagues figées. La montagne et le fleuve ne sont pas seulement deux partenaires qui se trouvent en vis-à-vis : ils entretiennent un rapport bien plus intime, une relation d’entrecroisement, d’interpénétration, de devenir mutuel, incarnant la transformation universelle grâce au souffle médian.Le yin, le fleuve, les ondulations, la mer incarne la douceur réceptive ; le yang, la montagne, les constructions géométriques, la puissance active.
Chaque être acquiert sa spécificité en entrant en interaction avec d’autres êtres et en premier lieu avec son partenaire privilégié, son complémentaire. Ainsi, la sculpture de S.Rivillon ne nous apparaît pas duelle car par ses échancrures, ses changements de niveau, de plans et ses superpositions, elle introduit le vide médian qui selon les taoïstes permet au Deux de se dépasser et de devenir ce grand Trois, né du Deux. Dans cette œuvre, la représentation du vide est la vallée : l’image de la vallée est liée à celle de l’eau. L’eau, comme les souffles, apparemment inconsistante, pénètre tout et anime tout. De même à ses deux extrémités, le fleuve accomplit la transition entre mer et montagne, yin et yang. Ces deux extrémités, grâce au fleuve entrent dans le processus de devenir réciproque, la mer s’évaporant dans le ciel et retournant en pluie sur la montagne, laquelle active sans cesse la source.
La pierre pour S.Rivillon comme pour les chinois, est vivante ; premier témoin ou première dépositaire de l’univers en devenir, la pierre porte en elle les remous originels, en elle se condensent les souffles primordiaux.
C’est un creuset où s’entrecroisent les contradictions et les complémentarités d’où jaillit l’irrépressible besoin de tendre vers l’idéal de l’universalité.Les matériaux sont des marbres blanc veinés de gris, des marbres rouge tachetés de blanc, des marbres noir mordorés ou des granits noir avec des incrustations colorées. Ils sont polis à l’extrême ou bouchardés. De taille moyenne sur leurs socles, ils rayonnent une lumière ascendante qui diffuse élégamment grâce aux nombreuses arêtes et aux plans successifs. Cette source lumineuse qui semble née dans le lointain, incarne le mystère de tout ce qui est donné ici bas.Nous prenons conscience qu’elle n’a jamais cessé d’introduire l’infini dans le fini et que le fini ne prend sens qu’en s’ouvrant à l’infini.Les ondulations qui s’étirent horizontalement et les constructions verticales créent un mouvement circulaire donnant l’impression que virtuellement, la montagne peut entrer dans le vide pour se fondre en vagues et qu’inversement, l’eau passant par le vide peut s’ériger en montagne.Ce mouvement incarne une loi universelle, chère aux chinois ; c’est bien grâce à cette loi que toute vie croît et se renouvelle à l’image des fines lignes verticales délicatement gravées, portées par l’infini délicatesse dont l’artiste est capable. Le propos de cette sculpture est de traquer le mystère né de l’incessant échange entre les grandes entités : bien entendu entre le ciel et la terre, entre la montagne et la mer, mais aussi entre les innombrables entre qui ont lieu à tout instant sous nos yeux, dans ce qui se devine, dans ce qui advient au creux des interstices.
« Nous ne doutons pas que c’est au royaume de l’intervalle, dans la vallée où poussent les âmes, selon J.Keats, qu’en réalité, chacun des vivants prend conscience de son unicité et devient par là, présence »
Nous avons le privilège de pouvoir souvent visiter l’atelier de l’artiste. En été, le soir, à l’heure où les derniers rayons de soleil éclairent un moment de silence, nous sommes accueillis par des hommes-boîte posés là sans doute pour repérer les lignes de chi telluriques du plancher, comme les constructeurs de cabanes sous les Hans et nous déambulons à travers des ébauches de bois ou de pierre, chrysalides en attente de papillon, dans le simple appareil d’une œuvre d’art qui vient de naître. Nous devinons alors qu’une force occulte supérieure cherche à nous atteindre, au-delà de l’impression sensorielle. Comme les pommes de Cézanne ne sont pas le simple fruit du pommier, l’œuvre de Sylvie résume un fragment de la beauté du monde, elle condense un peu de cette essence mystérieuse à laquelle tout être humain aspire.
En cette date anniversaire, nous formulons le vœu de pouvoir longtemps encore rester en empathie et garder entre nous cette connivence qui faisait dire à Shi-Tao :
« Je parle avec ma main, tu écoutes avec tes yeux et nous nous comprenons n’est ce pas, en un seul sourire ».
Toujours familier
Toujours inconnu
Vide médian
A l’heure de l’abandon
Tu consens à nous confier
Ton dessein

Activant le souffle
Tu nous fais passer

Préservant le souffle
Tu gardes pour longtemps
Ce qui jaillit d’entre nous

Prolongeant le souffle
Tu relies notre fini
A l’infinie résonance.

L’infini n’est autre
Que le va-et-vient
Entre ce qui s’offre

Et ce qui se cherche
Va-et-vient sans fin
Entre arbre et oiseau

Entre source et nuage.

François Cheng

Raymond et Marie-Annick Crampagne , Toulouse le 8 juillet 2009

Site : Sylvie Rivillon